Richard Laillier

Ça commence par un grand espace blanc. La feuille de papier. Ce blanc, Richard Laillier l’attaque au papier abrasif, il le ponce, le rend moins lisse, plus réceptif. Ensuite, à la pierre noire, sorte de fusain très sec et mat, réduit en poudre, il noircit. A grands gestes circulaires, à l’aide d’un chiffon, la matière noire annule le blanc du papier. Blackout total. C’est dans un troisième temps seulement que Laillier va faire émerger formes et tracés du papier, à l’aide d’une gomme. Il enlève le noir, creuse, retourne au blanc, qui était toujours là, caché.Cette technique proche de celle de la matière noire en gravure est pratiquée depuis des décennies par Richard Laillier (1961), qui vit et travaille à Paris. Les noirs sont profonds, la matière dense et voluptueuse. Les blancs ne sont plus que des souvenirs, ils prennent des teintes de gris, de beiges, de fumée.

« De la nuit initiale -ce noir profond du pigment – il gratte chaque particule d’obscurité afin d’en extirper les secrets enfouis, gomme ici et là le voile fuligineux et tévèle, à force de patience et d’obstination, des ombres tremblotantes, telles les lueurs de bougies effrayées par le moindre courant d’air, qui sur le papier frêmissent d’une vie nouvelle- une sorte de résurrection. « Il gratte, recouvre, estope les couches géologiques du bas du tableau. Doux frottage. Recouvrement, effacement, ponçage. Il peigne le tableau comme une chevelure » écrit Pierre Antoine Villemaine. Il scrute la surface obscure à la recherche de ces vies oubliées dont personne n’a eu vent, ces vies perdues dans une nuit profonde comme une fosse commune.
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« Il a le sentiment d’avoir perdu une chose inconnue. Il est à la poursuite de cette perte, espère la confondre », pour citer en ore Pierre-Antoine Villemaine. Richard Laillier ne cède pas, et avec une rage rentrée, force le papier à lui rendre ce qui a été pris, à restituer les âmes enfouies. Ce faisant, au coeur de son travail irradie une lumière venue d’un au-delà indistinct et inconnu. Lumière trouble, dont la présence même est une énigme. Lumière blafarde, presque surnaturelle, qui crève les ténèbres et vient glisserdans le regard du spectateur quelque lueur d’espèrer. Lumière sourde, qui secoue la poussière d’une forme vague, nébuleuse, d’un spectre mouvant encore à moitié absorbé par les couches sombres…
Le monde est un trou noir auquel l’artiste a réussi à arracher contre toute logique quelques précieuses parcelles de lumière… »